REFLEXIONS SUR 10 ANS DE TECH BUYOUT EN FRANCE

En 2005, alors que l’industrie du Buyout (ou LBO[1]) tricolore est déjà largement mature, certains membres de l’équipe ISAI participent à l’un des premiers Tech Buyouts Français sur la société seloger.com. 7 ans après, alors que ce segment en est encore à ses prémices, nous annonçons le lancement de notre activité d’investissement Tech Buyout avec ISAI Expansion et réalisons, le 14 février 2013, notre 1ère opération sur la société Hospimedia.
La proposition de valeur était simple : offrir aux entrepreneurs de la Tech ayant choisi la voie de la profitabilité des possibilités de financement et de liquidité jusqu’alors largement inaccessibles sur le marché français.

Tech Buyout vs Buyout « Classique » : moins de levier et plus de croissance !

L’une des spécificités du Tech Buyout par rapport à un Buyout sur d’autres secteurs touche au rôle central que joue la croissance dans la valorisation d’une entreprise de la Tech. Compte tenu de la jeunesse du secteur et de son innovation permanente, les sociétés de la Tech sous LBO ont une croissance souvent nettement supérieure à celle des secteurs traditionnels. A titre d’illustration, la croissance organique moyenne des sociétés accompagnées par ISAI Expansion est supérieure à 25 % par an[2] ! L’analyse de création de valeur sur nos nombreuses sorties confirme que la performance réalisée provient largement de cette croissance. Et malgré les déboires récents des valeurs cotées Tech qui ont remis un accent bien plus fort sur la dimension rentabilité, une étude récente a montré, sur le sous-segment du logiciel, que la croissance restait malgré tout deux fois plus valorisée que la profitabilité dans la fameuse « rule of 40 ».

Ce focus particulier sur la croissance donne une partie de sa spécificité au Tech Buyout. L’ensemble de l’opération financière doit être mise au service de cette croissance, et en aucun cas ne venir la contraindre. Cela implique notamment de porter une attention particulière au niveau du levier financier, qui doit rester raisonnable; d’arbitrer pour une dette « in fine » plutôt qu’amortissable ; ou encore de rester prudent sur les covenants bancaires.

Fort développement du Tech Buyout en France depuis 10 ans

Depuis dix ans, nous étudions plus de 75% des opérations de Tech Buyout en France (sur le segment small, lower-mid cap), et continuons de déployer ISAI Expansion avec la rigueur dont nous avons toujours fait preuve.

Ce segment a connu un développement spectaculaire sur les dernières années. Selon Lincoln International, le nombre de transactions de Buyout dans le logiciel (un sous-segment de la Tech) a, par exemple, augmenté de 130 % entre 2015 et 2022 dans le monde, avec une multiplication des intervenants, des fonds spécialisés Tech aux fonds les plus généralistes.

Ce développement a notamment été porté par :

  • Une croissance quasi ininterrompue des multiples entre 2009 et 2021 ;

  • Des fondamentaux économiques souvent attractifs : croissance, faible intensité capitalistique, besoins en fonds de roulement limités, etc. ;

  • Une accélération de la digitalisation pour les entreprises comme pour les particuliers lors de la crise de la Covid ; et,

  • En conséquence, une surperformance avérée par rapport aux Buyouts traditionnels. Selon une étude de Bain & Company[3], les Buyouts dans le logiciel ont généré, en moyenne, un multiple de 2.8x l’investissement entre 2010 et 2018, vs 2.2x pour les LBO des autres secteurs !

Ce développement est une excellente nouvelle et nous nous en réjouissons car c’est une brique essentielle au développement de l’écosystème Tech en France.

Cet « eldorado » va-t-il rester aussi facile d’accès ?

Face à l’envolée des multiples d’acquisition en 2020 et 2021 notamment, nous ne pouvons que nous interroger sur la capacité des opérations conclues par les fonds à prix d’or sur cette période, dans le secteur logiciel notamment, à générer des performances similaires à ce que nous avons pu observer historiquement.

Trois facteurs viennent alimenter notre questionnement :

  • D’une part, la correction des valorisations des sociétés de logiciel sous LBO reste faible (de l’ordre de -20% par rapport au pic) par rapport à leurs équivalents cotés (-50%), mais il est clair que la reconnexion des deux mondes va devoir avoir lieu à court ou moyen terme.

  • D’autre part, l’émergence de nouvelles « méga-tendances » va contraindre les sociétés de la Tech, et du logiciel en particulier, à investir davantage et à se renouveler :

    • Enjeux accrus autour des sujets cybersécurité, hébergement, Green IT, protection des données.

    • Transformation vers des modèles SaaS.

    • Pression sur les marges brutes dans un contexte fortement inflationniste.

    • Abaissement des barrières à l’entrée : développement du no-code / low-code, GenerativeIA, etc.

  • Enfin, la mise en lumière des faiblesses structurelles du secteur Tech trop longtemps ignorées : peu / pas de diversité, une conscience environnementale à peine naissante, un certain manque de proximité avec les territoires, etc. Il reste beaucoup à faire et c’est à l’écosystème tout entier de prendre ces sujets à bras-le-corps pour mieux assumer sa « corporate responsibility ».  

L’ère de l’argent « facile » semble donc derrière nous et, dans ce nouveau contexte, nous pensons que les notions d’expertise et de savoir-faire pour soutenir la croissance des sociétés rentables de la Tech vont retrouver tout leur sens.

Les acteurs du Tech Buyout vont également devoir tester leur capacité à se diversifier sur des segments peut-être moins « mainstream » (marketplaces ou autres modèles B2C par exemple) que le Logiciel et l’IT Services, qui représentent actuellement plus de 70 % des montants investis en Tech Buyout[4].  A l’instar du Venture au début des années 2000, nous anticipons donc une forme de rationalisation du côté des fonds de Buyout qui devront clairement s’armer et s’équiper pour adresser ce marché dans toute sa complexité.
Car les fondamentaux du marché restent forts et prometteurs à moyen terme : les sujets Tech sont souvent, et surtout en B2B, peu soumis aux aléas logistiques ou de matières premières ; les besoins de digitalisation et gains de productivité demeurent ; et les attentes des entrepreneurs sont nombreuses.

De l’importance des liens entre le Venture et le Tech Buyout

Au sein de l’équipe ISAI Expansion, quand nous questionnons notre approche, nos valeurs et la manière dont nous pouvons progresser dans ce contexte chahuté, un élément essentiel refait surface : quelle est notre compréhension intime du secteur dans lequel nous opérons ?
À ce titre, et même si les codes entre ces deux mondes sont très différents, la nature du secteur de la Tech fait que les liens entre l’univers du Buyout et celui du Venture restent particulièrement forts car les start-ups sont à la source de beaucoup d’innovations qui impactent, tôt ou tard, les PME/ETI Tech rentables et éligibles à un LBO. Un exemple représentatif parmi d’autres : après avoir été initiée par les start-ups, la pratique du Product Management, cette nouvelle façon plus agile et plus itérative de concevoir des produits digitaux, est désormais en train d’inonder les PME/ETI et les plus grands groupes eux-mêmes.

C’est ce lien, cette compréhension du monde du Venture, qui fait, aujourd’hui plus que jamais, la force de l’équipe ISAI Expansion. En sont issues la plupart de nos spécificités, dont une culture de minoritaire et d’influence par l’expertise ; et la capacité à investir dans le cadre de syndications quand cela est nécessaire.

Si le Tech Buyout est aujourd’hui essentiellement concentré sur des sociétés « bootstrapped », sans vraie continuité avec le Venture, nous sommes convaincus que le renforcement de ce lien entre start-ups et PME/ETI Tech sous LBO est une source d’opportunités incroyables pour les années à venir, via la vocation naturelle des dernières à consolider une partie des premières et à offrir une nouvelle porte de liquidité aux fonds de Venture Capital.

Chez ISAI, nous sommes particulièrement enthousiastes à l’idée de co-construire cette nouvelle phase d’évolution du Tech Buyout, désormais identifié comme l’un des maillons essentiels de l’écosystème Tech.

 

Pierre Martini

Managing Partner, ISAI Expansion

 

[1] Rachat d’une entreprise avec levier financier

[2] Source: ISAI, analyse réalisée sur le portefeuille Expansion entre la date d’entrée d’ISAI au capital et le 31.12.22

[3] Source : Global Private Equity Report 2020, Bain & Company

[4] Source : Global Private Equity Report 2020, Bain & Company

ISAI