ISAI AVANT ISAI

Il y a 10 ans, jour pour jour, le 25 juillet 2008 à 14H40, j’ai reçu un email qui a changé le cours de ma vie.

Et peut-être pas que…

Le premier semestre 2018 a été riche et excitant pour ISAI :

  • Nous avons récemment communiqué sur près d’une quinzaine d’opérations (quelques jolies sorties, beaucoup de très beaux refinancements et certains nouveaux investissements) ;

  • Nous avons agrandi l’équipe, déménagé dans des bureaux plus spacieux tout en réussissant la levée, en 11 semaines seulement (un record ?), du fonds successeur de notre premier fonds de Tech Private Equity (CapDev/LBO) dirigé par Pierre Martini, mon associé.

A titre plus personnel, j’ai connu sur ce premier semestre deux événements majeurs pour mes deux premiers investissements historiques :

  • un énorme et cuisant échec avec la liquidation de Pubeco ☹️

  • un joli cap de franchi par la scale-up Evaneos qui est, sans nul doute, la plus belle ligne de mon actuel track record de VC 😄

C’est dans ce contexte que me sont revenus de très nombreux souvenirs sur la naissance et les tout premiers pas d’ISAI que j’ai eu envie de partager à travers ce post.

D’abord pour dire un grand MERCI à une foultitude de gens (je développe plus loin car la liste est longue) qui ont aidé à la création/construction d’ISAI.

Et aussi parce que je me suis dit que cette histoire pouvait avoir un intérêt pour les nombreux créateurs, qui dans l’ombre s’accrochent à leur(s) improbable(s) rêve(s), face à l’adversité cruelle et, souvent, l’indifférence générale.

L’histoire d’ISAI démontre que si, moi qui, il y a 10 ans, était un entrepreneur sans succès, je pouvais vivre une telle aventure alors chaque créateur doit continuer d’y croire et (presque) tout le monde peut y arriver.

Souvenirs, souvenirs

Le premier souvenir, c’est évidemment le lancement officiel d’ISAI le 15 avril 2010.

Nous (Jean David Chamboredon et moi) venons de réaliser le closing de notre premier fonds (à 18M€ !!!) et nous organisons une conférence de presse avec les cofondateurs Pierre, Ouriel, Stéphane et Geoffroy.

C’est le début : nous avons obtenu notre « license to kill » (agrément AMF) et nous avons désormais des flingues de concours (18m€ !!!! Risible mais à l’époque on visait 15m€ ça nous paraissait énorme d’avoir levé 18m€). Notre premier coup de feu (celui de JDC) ce sera covoiturage.fr (devenu Blablacar) et vous connaissez tous la suite de l’histoire…

Le 15 avril est donc la date anniversaire officielle d’ISAI;

Ce qui est amusant c’est de revenir à la préhistoire, avant cette date de lancement, à isai avant ISAI, à isai avant @isai_fr.

C’est quoi ISAI avant ?

C’est 2 ans de gestation longue et difficile.

Et moi qui vous parle, durant ces 2 ans un peu « galère », j’ai bien eu peur, à un moment, que le projet capote.

Heureusement il y avait Pierre Kosciusko-Morizet…

C’est le premier (le plus gros ?) merci que je voudrais adresser et il va à Pierre Kosciusko-Morizet.

PKM accepte de me rencontrer en 2007 : je lui parle de la loi ISF PME qui vient de sortir, et des opportunités qu’elle ouvre pour améliorer/révolutionner l’investissement d’amorçage.

Tout de suite, en un quart de millième de seconde, il clique, il double-clique. A fond le Pierre, comme d’hab’ !

Ayant, j’imagine, un peu souffert en tant qu’entrepreneur de l’extrême faiblesse du financement d’amorçage disponible en France (à l’époque), il voit tout de suite l’intérêt de renforcer le maillon faible de la chaine de financement et, qui mieux est, d’inventer la solution idéale dont lui-même en tant qu’entrepreneur et porteur de projet aurait rêvé.

Il va vite le PKM, il a un instinct hors catégorie, un goût pour l’initiative, une confiance et une clarté dans sa vision, une intuition hors du commun (il me fait penser, en cela, bien plus à un personnage tout droit sorti d’une BD, un Largo Winch, qu’à n’importe quel investisseur sorti de n’importe quel quartier d’affaires).

Moi, je n’y crois pas et je me dis qu’il y a un loup, que c’est pas possible.

Lui, la star, l’entrepreneur iconique à qui tout sourit serait prêt à s’associer avec moi qui n’a aucun track record et qu’il connait à peine ?

Naaaaaaaaaan… même pas en rêve !!!!

Je dois donc d’abord remercier Pierre d’avoir pris un risque énorme (qu’honnêtement aucun autre n’aurait pris), d’y avoir cru avant tout le monde.

Ensuite je dois le remercier d’avoir été, non seulement, patient pendant des mois (franchement, ça avançait pas des masses) mais aussi d’avoir été super engagé et super moteur à chaque instant, du tout démarrage jusqu’à aujourd’hui.

PKM le père spirituel et le père biologique d’ISAI

Ce qui fait de moi la mère porteuse 😉

Grâce à PKM je rencontre et pitche les cofondateurs d’ISAI qui tour à tour rejoignent l’aventure (Ouriel le premier le 3 juillet 2008 !! qui, en outre, a été celui qui, quelques mois plus tard, a sourcé Blablacar !!!!).

Stéphane Treppoz se dit très intéressé mais j’ai totalement raté (j’en rate pas une, j’vous jure…) le rendez vous avec Geoffroy Roux de Bézieux et j’ai peur qu’il décide de ne pas y aller ce qui pourrait refroidir tous les autres, par contamination. Car, si l’idée est belle, le plan, lui, est bancal et pas très convaincant…

Or, il y a pile poil 10 ans jour pour jour, le 25 juillet 2008 à 14H40 Stéphane Treppoz me confirment par email que, collectivement, ils sont tous ok pour lancer un fonds d’entrepreneurs.

Y a des emails qui ne provoquent rien, des emails qui agacent mais celui-ci c’est le soleil qui brille dans une vie, c’est les oiseaux qui chantent à l’envi.

Merci Ouriel, Merci Stéphane et Merci Geoffroy !!!

Feu Vert

Évidemment le projet n’est pas encore bien ficelé (on n’a même pas de nom pour ce fonds d’entrepreneurs sinon Entrepreneur Business Angels : quelle originalité !!!).

Malgré tout, je quitte Paris Business Angels au début septembre excité comme jamais par cette unique opportunité.

4 jours après, Lehman Brothers tombe…

Ok…

Super…

Des potes de différents horizons que j’ai mis dans la confidence m’appellent pour me dire que je suis mort, que je n’y arriverai pas : « ton fonds, tu le monteras jamais… » !

Je lâche pas l’affaire.

On trouve un nom, des statuts, on finalise le mode de fonctionnement du fonds (entre AngelList et FoundersFund), on trouve des entrepreneurs associés (Merci à eux !) qui rejoignent l’aventure, on fait un communiqué de presse pour officialiser notre lancement…

Mais, au final, en effet, ça plante !

Serais-je le Garcimore de l’entrepreneuriat et du venture ?

Je tente de lever des fonds et de faire fonctionner le dispositif ISF PME qui doit nous permettre de financer des startups mais en vain. J’ai complètement sur-estimé notre capacité à lever des fonds, j’ai totalement sous-estimé l’intensité concurrentielle des spécialistes de la défiscalisation, l’impact de la crise etc…

Et puis la défiscalisation quel cauchemar !

Début Janvier, je propose aux cofondateurs de « pivoter » (à l’époque je ne savais pas qu’on disait « pivot », je croyais qu’on disait juste « plantage ») dans un email que j’appelle « opération vérité » (même pour les fans de James Bond, ça fait plouc un tel objet d’email !).

Les fondateurs (sauf Orianne Garcia et Tariq Krim, qui sortent à ce moment-là, mais que je remercie du fond du cœur pour avoir porté ISAI sur les fonds baptismaux) suivent ma recommandation qui est de laisser tomber la holding ISF pour aller vers un agrément AMF afin de pouvoir notamment gérer en délégation des fonds levés par les réseaux bancaires (FCPI/FIP).

Le souci est que l’AMF impose ce qu’on appelle la loi des 4 yeux (il faut 2 gérants pour monter un fonds d’investissement).

Qu’à cela ne tienne, je fais la liste des bons investisseurs/VCs français que nous pourrions faire monter à bord.

J’ai plusieurs dizaines de noms que je rencontre et avec qui je discute mais de toutes mes « due diligence » (investigation pour avoir des retours du terrain sur les qualités/défauts des gens) il y a un nom qui s’impose : celui de Jean David Chamboredon alias JDC (c’est le 2e énorme MERCI après celui aux cofondateurs).

JDC, on me dit de lui « c’est l’un des meilleurs en Europe mais rêve pas, il viendra jamais, c’est bien trop petit pour lui »

On me dit aussi « t’es pas au niveau pour bosser avec JDC, il est trop smart, et il te fera pas de cadeau, c’est un tueur, il fera aucun sentiment ».

J’ignore les avertissements qui me paraissent liés à des trajectoires personnelles plus qu’à une réalité objective et, puisque c’est l’un des meilleurs en Europe, « décontrasté » comme disait Garcimore, je me mets en tête de le faire monter dans ISAI.

PKM qui le connait bien (c’était son VC dans Priceminister) me confirme qu’il est topissime mais qu’il y a zero chance qu’il abandonne son poste chez 3i…

Le temps passe, je cherche ailleurs, mais sans conviction, un General Partner expérimenté.

ISAI ne décolle toujours pas, même si la documentation est plus claire et le plan plus précis.

PKM s’impatiente et, moi, je suis proche de la banqueroute.

N’ayant jamais gagné d’argent, j’ai mis dans l’aventure toutes mes maigres économies (et pas mal d’argent emprunté), et ce, alors que je ne me rémunère pas.

Du coup, je finis même par me retrouver, un jour du printemps 2009, sans pouvoir payer les couches de mon fils de 1 ans, à la caisse du Leader Price avec ma CB bloquée à force de découvert… Heureusement que ma femme était là pour payer le loyer et faire bouillir la marmite !

La classe à Dallas

Or, coup du sort, quelques mois après, 3i est victime (comme beaucoup d’autres) de la conséquence de la crise des subprimes et est contraint d’arrêter son activité venture.

JDC, qui était sur le point de s’installer pour 3i dans la « bay area » de San Francisco, vit mal cette décision qu’on lui impose et pendant qu’il essaie de racheter le portefeuille 3i pour poursuivre en indépendant, il accepte, à la demande de PKM, de nous aider et de nous conseiller sur le positionnement et le lancement d’ISAI.

Finalement, il acceptera, 2 mois plus tard, de prendre le « lead » et de tenter le lancement de ce « fonds des entrepreneurs internet ».

Là encore, vous connaissez la suite et son rôle dans la construction d’ISAI avec le soutien, sans cesse renouvelé depuis, d’à peu près tous les entrepreneurs à succès du web français ainsi que de CDCEntreprises/BPIFrance et de Crédit Mutuel Arkea dirigé par Ronan Le Moal (Merci à vous tous !!!!).

Balles Neuves

JDC c’est le « tuteur légal », le papa au quotidien d’ISAI.

Ça, tout le monde le voit, tout autant que son rôle de leader d’une équipe d’une petite vingtaine de personnes avec lesquelles c’est un bonheur de faire la route (Merci Nelly, Guillaume, Pierrot, Jean-François, Thierry, Mounia, Paul, Antoine, Thomas et aussi Adrien, Augustin, Pauline, Thomas, Bastien…).

Ce qui se voit moins en revanche, c’est que JDC a été pour moi un formidable professeur et mentor. Lui est un peu le maître Jedi et moi le petit Padawan. J’ai en tête un nombre incalculable de fois où je suis venu dans son bureau pour lui demander conseil et où, systématiquement, il a su faire preuve de patience et de bienveillance. C’est quelqu’un d’extraordinairement intelligent qui, comme personne, aime réfléchir et faire progresser la réflexion par la discussion.

C’est important cet esprit de compagnonnage : d’abord parce que ça évite de payer trop cher son MBA venture (on apprend en faisant et donc en faisant des erreurs) et ensuite parce que, de ce fait, l’une des valeurs centrales du “partnership” (relation entre les associés de la société de gestion) est l’entraide et l’esprit d’équipe. Or il a souvent été avancé que les VCs ont avec l’extérieur (ie. les entrepreneurs) la même qualité de relation qu’ils ont à l’intérieur (ie. avec leurs associés).

Évidemment JDC a aussi des défauts (il fume un peu trop par exemple…) mais qui n’en a pas ?

Comme on dit en amour, on y va quand les qualités sont attractives mais on y reste quand les défauts sont acceptables.

Grâce à David (comme l’appelle affectueusement Caroline, sa femme) Pierre Martini (Merci Pierrot et toute ton équipe) est entré dans la boucle en 2011 pour lancer notre 2e activité (capital développement/private equity). ISAI a depuis 2 jambes…

Grâce à David, ISAI a été au centre de la scène entrepreneuriale avec les pigeons, puis France Digitale dans lequel il s’est investi.

Grâce à David, ISAI est une marque connue et un acteur reconnu dans l’écosystème et les médias.

Je ne saurai jamais dire assez ma reconnaissance à Jean-David, président et « late cofounder » de ISAI.

ISAI est aujourd’hui plus beau, plus grand et plus fort que je ne l’avais imaginé il y a 10 ans.

Peut-être le plus gros fonds d’entrepreneurs d’Europe ? Et certainement un des fonds français les plus performants (premier tiers voire premier décile) ?

ISAI est, donc, selon le bon mot, un échec qui a mal tourné !

Apprendre

Ce n’est pas parce que je remercie les autres que, moi, je n’ai pas transpiré ces 10 dernières années 😉

J’ai pas mal bossé et surtout j’ai énormément appris (je crois d’ailleurs que le “growth mindset” est au cœur de la réussite entrepreneuriale comme j’ai pu le dire dans ce podcast) et de mon parcours je retiens en synthèse les éléments ci-dessous :

  • C’est pas parce qu’on a une très bonne idée que ça va marcher, les idées ne valent pas grand chose, seule l’exécution est clef. Il faut donc une très bonne exécution et aussi un timing favorable

  • Il faut s’engager à fond, se battre comme si sa propre vie en dépendait, et ne jamais arrêter les efforts pour progresser

  • Il faut soigner sa « go to market », bien choisir sa « plage du débarquement » comme disait Geoffrey Moore et identifier un rapport de force qui vous soit injustement favorable sans quoi la bataille sera sanglante voire perdue (et la défiscalisation est un Red Ocean)

  • Il faut savoir convaincre des gens plus spécialisés ou plus expérimentés que soi de rejoindre l’aventure, sans les bons associés on ne peut pas réussir (la gagne est un sport collectif, pas un sport individuel). Dans mon cas, ça impliquait de perdre le leadership, ce qui est toujours vécu comme un traumatisme par le créateur. Personnellement je trouve plus amusant de faire un belle traversée en tant que lieutenant en second qu’un mauvais trip en tant que capitaine.

Si je suis heureux du chemin parcouru, selon moi, il n’y a, pour autant, de laurier pour personne.

D’abord parce que nous avons bénéficié du formidable élan entrepreneurial de ce pays doublé d’un incroyable boom technologique (être au bon moment au bon endroit). Mais aussi parce que beaucoup reste encore à faire et que les équilibres sont fragiles.

Nous sommes au bout d’un cycle haussier de 10 ans et il convient de rester prudent sur le prochain cycle et la décennie à venir comme j’ai pu le dire ici ou JDC .

Nous allons donc continuer à travailler sans relâche durant les 10 prochaines années avec toujours à cœur d’aider les autres à réussir.

Avec l’espoir qu’avoir partagé mon expérience soit utile, je voudrais conclure avec un mot pour tous les entrepreneurs, créateurs, freelances, auto-entrepreneurs, patrons de TPE et PME etc… tous les gens qui, un peu fêlés, ne suivent pas les lignes toutes tracées mais prennent la voie de l’indépendance même si elle est risquée, et pour qui j’ai une affection toute particulière.

Bravo et MERCI aux entrepreneurs

C’est en effet une population d’individus que j’ai la chance de côtoyer (on étudie chez ISAI plus 2000 opportunités d’investissement par an), qui me nourrit par son énergie positive, qui me rajeunit par sa volonté permanente de remettre en cause le statu quo, et qui me dynamise par son impérieux besoin de se tourner vers l’action et le futur.

A vous donc, qui avez décidé de prendre les choses en main, de designer votre propre parcours et d’architecturer votre propre vie ; à vous qui avez, à la pelle, des rêves à réaliser ou des envies de bâtir, au bulldozer, le monde de demain, je voudrais dire toute mon admiration et je voudrais aussi dire merci. Car vous êtes une vraie force de progrès.

Et enfin merci à Steve Jobs d’avoir su mettre des mots sur une vérité que tous les entrepreneurs ont en tête :

« Your time is limited, so don’t waste it living someone else’s life. Don’t let the noise of other’s opinions drown out your own inner voice. And most important have the courage to follow your heart and intuition. They somehow already know what you truly want to become.»

A bientôt pour surfer de nouvelles vagues !

Christophe Raynaud

Post original

Christophe Raynaud